mardi 2 juillet 2013

Des bombes atomiques en arrière-plan

J'étais étendu sur le sofa avec Chorizo quand j'ai entendu ça péter. Des feux d'artifice. Je suis sorti sur la galerie. Il pleuvait un peu. Une gang de jeunes faisaient le party dans la cour du voisin d'en arrière, de l'autre côté du sous-bois. Pendant que ces hosties-là s'amusaient à faire péter des feux d'artifice en beuglant des insanités alcoolisées, moi je continuais à me vider l'âme tout seul dans ma maison. J'étais allé vivre dans le bois pour avoir la paix. Tabarnac, ça a l'air que je n'étais pas allé assez loin. Et même si j'étais allé encore plus loin, j'aurais toujours eu ma propre personne pour me taper sur les nerfs.

Toujours est-il que les soulons ont continué à faire sauter leurs pétards toute la soirée. Au lieu de les faire péter tout en même temps, ils en faisaient péter un aux quinze minutes, soit pour faire durer leur plaisir soit pour me faire chier, ce qui revient au même de toute façon. Après une heure, quatre ou cinq pétards, je suis sorti dans ma cour avec Chorizo, pis j'ai utilisé mon truc pour le faire grogner. J'y fais des gros yeux, je lui montre mes dents, pis j'me mets à sauter comme un gorille de gauche à droite. Il déteste ça et ça le fait grogner. Fort. Et il place quelques jappements bien sentis à travers ça.

En guise de riposte, le socialiste de la gang a pris sa guitare et s'est mis à faire chanter tout le monde. « Imagine all the people, living life in peace. » Justement, ferme ta gueule pis je vais avoir la paix, hostie de hippie, que je m'étais dit. La joie qu'ils faisaient rayonner dans la nuit ne faisait que creuser l'abysse de ma solitude. « I hope some day you'll join us. » Tu hope vraiment ça? J'en doute en sacrament, pensais-je.

Je me suis dit que c'était un bon temps pour aller couper des arbres dans la cour. J'ai sorti ma chainsaw et me suis rendu jusqu'au fond du sous-bois, à quelques dizaines de mètres de leur feu de malheur. J'ai parti la scie mécanique juste à temps pour enterrer bien comme il faut La complainte du phoque en Alaska. Mangez de la marde avec vos tounes rassembleuses. ZWORRR. ZWAAARG.

Comprenez-vous que ça n'a pas fait leur affaire, mais quand faut bûcher, faut bûcher. Fait qu'ils ont envoyé la plus belle pitoune de leur gang en mission diplomatique. Une belle brune mince dans des petites shorts serrées qui lui définissaient mieux les fesses que n'importe quel dictionnairiste n'aurait su le faire. J'ai été pris de court par ses belles lèvres, bonbons savamment posés au sommet de ce corps de réglisse. L'ultime pétard. Une bombe, comme on dit. J'ai éteint la chainsaw et j'ai pris une grande bouffée de la fabuleuse odeur de gaz qui nous entourait. Était-elle venue m'offrir de me sucer si j'acceptais de retourner me coucher sur mon sofa?

« Allo! »
« Salut. »
« Drôle de temps pour faire du bois, tu trouves pas? »
« Quand faut bûcher, faut bûcher. »
« Eum, écoute, pourquoi tu viens pas prendre une bière ou deux avec nous autres au lieu de faire le bûcheron? »

J'aurais aimé mieux l'amener chez nous, la belle bronzée, pour lui tripoter les entrailles jusqu'à ce qu'elle entrouvre la bouche pour jouir, et l'empailler juste à ce moment-là. L'immortaliser en train de jouir, comme les fantomatiques silhouettes figées d'Hiroshima l'ont été au moment de mourir.

« Ouain, ok. Je vais prendre un break. »
« Cool. Moi c'est Victoria. »

Victoria. Ça fait un peu sado-maso-danseuse-poudrée-steampunk, mais elle était plus du genre voyage-sac-à-dos-bungee-Coldplay-Apple. Je l'ai suivie jusqu'au feu de camp après avoir appelé Chorizo qui lui sniffait le dedans des jambes. Moi j'aurais mordu. En plus, ça la faisait ricaner.

Ils m'ont tous salué, le hippie avec sa guitare, le blondinet avec son coup de soleil sur le nez, le gars plus vieux avec une barbe poivre-et-sel et un tatou d'Alice in Chains sur le mollet, la petite laide renfrognée derrière son djembé, la poupée trop maquillée pour la ligue, le skateux qui avait l'air d'être son chum, le coco-rasé qui gossait après son Zippo. Ils m'ont passé la bouteille de gin. Victoria s'est installée à califourchon sur une bûche de bois.

« Comment il s'appelle ton pitou? »
« Chorizo. »

Coco s'est levé pour aller allumer un autre feu d'artifice. Les autres commencaient sans doute à regretter leur stratégie et à me trouver platte. Flower-Power allait surement se remettre à jouer sur sa guitare pour dissoudre le malaise. Fallait que je parle - ou que je parte - avant qu'il recommence, parce qu'il avait la voix d'un hybride entre une chèvre et Éric Lapointe.

« Excusez-moi pour la chainsaw. Je chop du bois quand je m'emmerde. »
« Personne a le droit de s'emmerder à la Saint-Jean. Fait que prend donc une autre gorgée de gin! Ami chose-binne, ami chose-binne lève ton verre, lève ton verre, lève ton verre! », a explosé Victoria.

J'ai vidé sa bouteille. Ça l'a un peu décrissé sur le coup parce que je commencais à lui coûter cher, mais en fin de compte il s'est mis à boire le Jack Daniel's de Poivre-et-sel. Je commençais à être pas mal saoul et à faire rire tout le monde - sauf le skateux qui était en tabarnac, je sais pas trop pourquoi, peut-être parce que sa geisha avait l'air de vouloir mettre sa main dans mes culottes pendant que je racontais la fois où j'avais livré douze cordes de bois en plein dans les plates-bandes de notre imbécile de députée libérale. Ils se rappelaient avoir lu ça dans les journaux. Ils étaient crampés raide que ce soit moi le malade qui avait fait ça.

À un moment donné, j'étais rendu tellement saoul que je me suis mis à improviser des jokes de cul qui mettaient en scène le vagin de Victoria et le Zippo de Tête-d'oeuf. Au début, Poivre-et-sel trouvait ça presque drôle, mais il a fini par me faire des faces. Il a plissé les sourcils. Ça voulait dire : décalisse, mon gars. Je t'y aurais arraché ses hosties de sourcils à la chainsaw, mais à la place je suis parti.

« Bon, m'en va me coucher avec la belle Vicky-licky-licky. Viens-tu ma belle chatte ? Chu tanné de flatter un chien, me semble que chu dû pour flatter une belle chatte. »

C'est Poivre-et-sel qui m'a répondu :

« Vas te coucher tout seul, le bûcheron, ok? »
« Correct, correct. »

J'ai traversé le bois et je suis retourné m'étendre sur mon sofa. Un vieux Terminator passait à la télé. Je me suis fermé les yeux. La tête me tournait. J'espérais voir Victoria déguisée en Sarah Connor passer au travers de ma porte patio pour venir me violer furieusement pendant que des bombes atomiques sautaient en arrière-plan. Mais j'avais plus de chances qu'elle me trouve mort asphyxié dans mon vomi. Si au moins les feux d'artifice avaient été des bombes atomiques. On aurait tous pu s'endormir tranquilles dans les radiations.

À la place de ça, je me suis fait réveiller à deux heures du matin. RWOOOR. ZWAAAR. Ma chainsaw? Ma chainsaw.

Je me suis réveillé comme un Vietcong pris en embuscade, j'ai pris ma hache et j'ai lancé l'assaut. Tête d'oeuf était en train de se faire des buches avec ma chainsaw. Je suis sorti du sous-bois comme un monstre enragé près à tout arracher ce qui était possible d'arracher, la hache dans les airs.

« Lâche ça mon sacrament! Lâche ma chainsaw! »

Ils se sont tous levés brusquement, échappant leurs bières, comme des chevreuils devant les phares d'un truck.

« Eille, relaxe, le malade. On faisait juste se faire une couple de bûches. T'avais laissé ta scie mécanique icitte. On allait te la rapporter, là. »

Il a déposé ma scie par terre. J'ai poussé Tête-d'oeuf, il s'est tout emmêlé dans ses jambes avant de s'effondrer dans l'herbe. Poivre-et-sel s'est approché de moi. J'ai repris ma chainsaw. J'ai croisé le regard de Victoria qui chevauchait toujours son ogive nucléaire, le corps enfoui sous une grosse couverte de poil de yak. Poivre-et-sel semblait vouloir m'engouffrer tout entier dans la pilosité de ses sourcils.

« Ok, là le party est fini. Allez tous vous coucher, c'est tu clair? »
« Désolé, m'a répondu Poivre-et-sel, c'est pas toi qui décide. On a pas fini, même qu'on pensait fêter jusqu'au lever du soleil. As-tu un problème avec ça, l'bûcheron? »
« Ouep. Ton party est fini. Regarde moé ben aller. »

Je suis reparti avec ma scie dans le bois, et j'ai choisi le plus beau et le plus haut pin qui bordait tout juste son terrain, et je me suis mis à le scier en criant comme un damné. Je le sciais pour qu'il s'effondre précisément sur le feu de camp de la gang de crottés. J'imaginais déjà la radieuse Victoria sortir de sa couverte dans la fraîcheur du soir en panique. Ça a vraiment mis Poivre-et-sel en beau fusil. Il s'en venait vraiment m'en crisser une. J'ai sorti ma chainsaw de l'arbre pis je l'ai brandie dans sa direction.

« Décalisse de mon terrain, sinon j'te jure que j'te détatoue l'corps drette icitte dans l'bran de scie. »
« T'es un sacrament de malade, toé. Laisse-nous donc tranquille, hostie de sauvage! »

Ça l'a convaincu de virer de bord. Ils s'étaient tous levés, confus, encore étonnés que des gens fous comme ça existent. Dans un craquement gigantesque, l'arbre a dangereusement penché en leur direction.

« Timber, tabarnac! Party's over! »

Un autre petit coup de scie. En s'affaissant sur le feu de camp, l'arbre souleva un nuage d'étincelles dans la nuit. Victoria et ses amis s'étaient éloignés. Figés, ils regardaient monter dans le ciel les milliers d'étincelles qui embrasaient le firmament. Le tonnerre s'est fait entendre. Des gouttes sont tombées sur le moteur encore chaud de ma scie. L'odeur d'essence. Victoria et ses amis sont allés se réfugier dans la maison de Poivre-et-sel. Planté là dans la pluie, comme le dernier survivant d'un massacre injuste, je regardais de loin le feu mourir tranquillement.

En rentrant chez moi, j'ai trouvé Chorizo étendu sur la galerie, trempé comme une lavette. Il me regardait d'un air triste. J'ai fermé violemment la porte patio derrière lui et j'ai tassé le rideau. Je me suis lancé dans mon lit, sur le dos. Je me suis mis les deux mains dans la face et j'en suis venu à l'évidence : il me faudrait changer mes techniques de séduction. Quand je vois une bombe, c'est moi qui explose. L'amour kamikaze, ça finit toujours par faire trop de victimes. Les bombes atomiques doivent rester en arrière-plan.

4 commentaires:

  1. Très divertissant! C'est ce qui s'appelle fêter en grand!
    Mais les bombes atomiques ne restent jamais en arrière-plan. Il te faudra trouver des munitions... Ou une technique pour les désamorcer! :-)

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  2. cette fois je ne te demande pas si c'est une histoire vraie, j'ai trop peur de la réponse.

    Au lieu de changer tes méthodes de séduction, change don de genre de cible ? Hen ? Kesse t'en pense ?

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  3. Salut mesdemoiselles,

    Je dois souligner avec empressement que le "je" est ici tout à fait exclusif. C'est une préférence narrative. Tout ça, c'est pour de faux.

    @Mademoiselle Gambade : Méchant party, hein. Mais je t'assure que le mien était plus relaxe que ça. Genre bon vin, bons amis, jeux de société, humour de mauvais goût et politicailleries plus ou moins censées.

    @Rainette : T'es fâchée? :( Je me demandais quoi faire avec ce personnage-là. D'autres histoires? L'approfondir? En tout cas, peut-être pas s'il effraie les petites grenouilles.

    A+ :)
    R.


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  4. mais non je suis pas fâchée mais des filles de même, tu ferais mieux de t'en éloigner (les pétards) et choisir des filles plus, disons, ordinaires, sont moins farouches . Ribbeutteu

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