mardi 25 juin 2013

Dix-sept heures au travers les quenouilles

Je me souviens du jour où tu m'as dit qu'avoir à te tuer, tu opterais pour un coup de fusil dans la gueule. Nous étions dans l'autobus. Je crois qu'il faisait soleil. Je t'avais répondu que je sauterais plutôt de la plus haute falaise, pour avoir l'impression de voler, sauter dans l'infini du monde pour échapper à l'étroitesse du quotidien. L'adolescence nous allait mal. C'était un aquarium trop étroit pour la vastitude de nos envies, mais on trouvait le moyen de rire tous les jours.

Quand on m'a annoncé au téléphone qu'on avait trouvé ton corps dans la forêt à côté d'un fusil, je suis tombé dans une prostration toute blanche. J'étais au travail, un client me dévisageait, et moi, perché sur mes genoux de ouate, je me faisais flotter jusqu'à l'entrepôt, à l'abri des autres. Ton fantôme m'avait transporté sur un radeau au milieu de l'océan. Ma jeunesse s'était évacuée d'un trait, aspirée dans le vortex opaque de ton geste.

J'ai voulu croire que tu avais fait un sacrifice, pour me libérer des vitrines de la naïveté, quelque chose du genre. Au sens figuré, c'est possible, mais au sens propre, je pense plutôt que tu t'es libéré d'une vie qui s'annonçait vraiment misérable.

Une vie de pilules.

T'étais schizo, mon vieux. Tu t'en es sans doute rendu compte, un moment donné, des mois après notre engueulade, quand t'allais mieux. Moi je m'en suis rendu compte la fois où on avait prévu aller à la pêche sur glace. Le soir avant, tu couchais chez nous parce qu'on voulait partir très tôt. Au milieu de la nuit, je t'ai trouvé tout seul dans le noir, éclairé seulement par l'écran d'ordinateur. Ça m'avait fait un peu peur. Tu regardais des trucs d'espionnage. Tu m'avais pointé un truc : « c'est exactement ça que j'ai trouvé dans ma chambre! » C'était une caméra miniature. « J'te jure, man, ils savent toute. »

J'étais allé voir la psy du cégep. Je voulais savoir ce qui se passait avec toi, savoir quoi faire. On avait parlé de drogue et de schizophrénie. Elle m'avait donné des numéros de téléphone que j'avais donnés à tes parents en cachette. On s'était parlé, sur Internet, et je t'avais dit : « t'as besoin de voir un médecin, vieux, ça ressemble à la schizophrénie ton affaire. » Tu m'avais dit que j'étais de leur bord, que j'essayais de te jouer dans la tête, fuck you laisse-moi tranquille, y'a plus personne qui va me manipuler.

Ensuite on s'était vu une seule autre fois, deux mois plus tard. On est allé au cinéma après avoir fumé un joint. Tu semblais calme, presque serein. De mémoire, c'était l'été indien.

C'est pas vrai. On s'est revus, une autre fois, mais c'était en rêve. Je marchais dans les rues de New York et j'apercevais un type mal en point dans une ruelle. C'était toi. Je te semonçais rondement. T'as pensé à ta mère? Ton père, tes frères? Ils te croient mort, enfoiré! On s'était fixé un rendez-vous, le lendemain, même endroit, à dix-sept heures. On irait prendre un verre. Mais tu n'es jamais venu.

On a tellement ri ensemble, vieux singe. Comme deux pyromanes on allait faire des feux partout où on allait. On écoutait des cassettes de punk français. Je haïssais ça, mais parce que tu tripais, moi aussi. On fréquentait des filles ordinaires, on allait chez elles écouter du Nirvana en fumant des cigarettes. On allait pêcher des crapets-soleils et on les faisait voler au bout de nos cannes à pêche comme des crécelles. On ramassait des canettes toute la journée sur le bord des routes, puis on allait les vendre; on faisait le tour des distributrices de Pepsi, puis avec un bâton, on recueillait les trente sous tombés dessous; puis avec nos économies de la journée, on se payait cinq minutes de karting.

Le soleil de fin d'après-midi me fait souvent penser au trajet qu'il me fallait faire à vélo pour rentrer chez moi. La journée avait été bonne. J'écoutais High and Dry de Radiohead sur repeat en pédalant comme un fou sur le bord de la route, le long des marécages; il fallait que j'arrive à temps pour souper. Il me restait encore quelques pétards à mèche dans les poches. Je les avais gardés pour impressionner ma petite soeur.

Un mois après tes funérailles, après toutes sortes d'acrobaties mentales pour traverser le désert et la jungle du deuil, c'était la fête d'un de nos amis. On était tous là pour fêter, mais on avait pas le coeur à la fête. Assis en rond, on parlait de toi. On pleurait pas mal. Le gars le moins sage de la gang avait fini par dire quelque chose du genre : « Sacrament les gars moi j'ai envie de dire quelque chose.  Moi je pense que notre ami a fait un choix. Ca n'a pas dû être facile pour lui non plus de faire ce choix-là, mais je pense que ça lui appartient. Moi j'ai envie de voir son geste comme un choix. Pensez-vous qu'on peut faire ça, respecter son choix? » On s'était tous enlacés en pleurant, dans un grand lâcher-prise collectif.

C'est étrange que le dernier souvenir que j'ai de toi me provienne d'un rêve. Un peu comme tous les souvenirs vaporeux de mon adolescence. T'aurais peut-être pas aimé ça, la vie d'adulte, mais j'aurais aimé ça que tu sois là. Ensemble, même dans le plus petit des aquariums, on aurait trouvé le moyen de se forger une liberté. En tout cas, le rendez-vous tient toujours. Je prendrai mon vélo, on ira prendre un verre. Dix-sept heures, au travers les quenouilles?

vendredi 21 juin 2013

à l'origine
qu'était-ce?
une pensée
un désir
un souffle
un orgasme

oui

mercredi 19 juin 2013

on s'est convaincus qu'il fallait tout ressusciter
« mourir sa vie, c'est investir »

et puisque les fantômes ont tout envahi
puisque le ciel a tout enregistré

on a fabriqué de grands écrans
pour immortaliser des lumières
                             que l'on pourra encore caresser
lorsqu'on sera morts



mardi 18 juin 2013

la liberté tolère tout
même d'interdire

si on avait su
on en aurait pas fait si grand cas
on se serait contenté de vivre
la course du soleil

la liberté est un astre immobile

jeudi 13 juin 2013

il faudrait des prêtresses lumineuses dans des habits translucides
            avec des vérités plein la langue
            qui vendent de l'authenticité dans des pubs décolletées
            des fragments de pureté emballés comme des chocolats
            manufacturés dans l'amour simple qu'on offre aux enfants
des armées de gourous inoculés des atomes du premier souffle
            qui fracassent d'affection le dogme des chiffres
            que l'on suit nus dans la poussière du jour
            vers une liberté muette, vraie comme le sang
            qui s'explosent le coeur comme meurent les étoiles

mardi 11 juin 2013

si le son
a un mur
le silence
lui
n'a qu'un horizon

                 « c'est un ordinateur qui décide tout »
et son écran, c'est tes yeux

soulever la peau de la terre
te montrer les électricités qui forment le visage du monde

les machines ont les coeurs qu'on leur prête

ils forgent de fabuleux blasphèmes
                                                                        comme des enfants soldats
et coupent le gâteau à la hache